Vitrine sur le nucléaire
Vitrine« Labyrinthe atomique »
La question atomique traverse un grand nombre de livres (romans, essais, poésie, BDs, jeunesse, etc.).
La qualité, la profondeur, parfois même la beauté de ces ouvrages n’a pourtant que peu permis d’adresser correctement les enjeux de la question atomique vers le grand public. Comme si une chape de plomb comparable à celle des réacteurs des centrales nucléaires étouffait les implications du problème.
Comment appréhender cette vérité qui dérange ? Pourquoi le nucléaire est un sujet qui fâche ? Comment penser un tel mécanisme de mort ?
Au fil des années, le Rideau rouge s’est intéressé à nombre de sujets variés, mais au nucléaire pas encore. Nous proposons donc en ce début d’année 2021 une plongée au cœur du labyrinthe atomique – une série de problématiques majeures que nous ne pouvons éluder sur le chemin vers une société écologique.
Pour accompagner la vitrine et la table dans la librairie, nous avons préparé une bibliographie ainsi que la chronologie de 120 ans de contre-histoire de l’atome (ci-dessous).
Puisqu’il est nécessaire d’en parler, n’hésitez pas à nous interroger !
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1896-1945 : du hasard à la bombe en 50 ans
1896 : Henri Becquerel, physicien français, découvre par hasard, alors qu’il fait des recherches sur la fluorescence, que l’uranium dégage son propre rayonnement.
1897 : Marie Curie révèle les propriétés de ce rayonnement puis, avec son époux Pierre Curie, découvre les éléments chimiques qui en sont à l’origine. Elle rebaptise cette propriété radioactivité.
1903 : Marie Curie, Pierre Curie et Henri Becquerel partagent le prix Nobel de physique « en reconnaissance des services extraordinaires qu’ils ont rendus par leurs recherches communes sur la radioactivité ».
1913 : Niels Bohr élabore le modèle de l’atome, constitué d’électrons gravitant autour du noyau.
1939 : Après trois décennies de recherches internationales intensives, Frédéric Joliot, Hans Halban, Lew Kowarski et Francis Perrin, montrent que le phénomène de fission s’accompagne d’un fort dégagement d’énergie et entraîne une réaction en chaîne.
1942 : La première réaction en chaîne, fondée sur la fission nucléaire de noyaux atomiques fissiles, est réalisée dans le cadre du projet Manhattan (USA).
16 juillet 1945 : Première explosion d’une bombe atomique lors de l’essai Trinity au Nouveau-Mexique (USA). Le nom de la bombe est Gadget.
6 et 9 août 1945 : Bombardements atomiques sur les villes japonaises d’Hiroshima (340 000 habitants) et de Nagasaki (195 000 habitants). Au total, entre 150 000 et 250 000 morts sans compter les cas ultérieurs liés aux effets secondaires – dont les nombreux cancers.
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Qu’est-ce qui peut bien conduire des scientifiques, des industriels, des militaires et des politiques à inventer, en 50 ans à peine, l’engin le plus destructeur jamais créé par l’être humain ? Quelles peuvent en être les raisons objectives ? Comment le hasard d’une découverte a-t-il pu conduire aussi rapidement à l’invention d’une telle arme suprême de mort ?
Ces questions traversent, explicitement ou non, tous les livres de notre sélection. Pourtant, aucun n’est en mesure de formuler une réponse claire et précise – car face à l’absurdité ravageuse du feu atomique, aucune réponse rationnelle ne semble pouvoir être trouvée.
On revoit l’image de Prométhée, croyant dompter un feu qui pourtant toujours l’excède et le dépasse.
Regarder dans les yeux l’histoire de l’atome (et par extension celle du nucléaire), c’est voir les soubassements profonds du projet « moderne » de maîtrise et d’exploitation du vivant.
Et se rendre compte, aussi, combien l’histoire a la mémoire courte (ou alors peut-être est-ce plutôt nous…) : c’est à Saclay en 1952 que le Commissariat à l’Energie Atomique établit son grand centre de recherche nucléaire, où seront construit pas moins de 12 réacteurs de recherche en 20 ans — à quelques pas de l’immense pôle scientifique et technologique de « Paris-Saclay », encore en construction, où l’on enverra par milliers les étudiantes et étudiants méritants de demain.
1945-1986 : de la bombe à Tchernobyl en 40 ans
18 octobre 1945 : Deux mois après Hiroshima-Nagasaki, ordonnance créant le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), établissement public de recherche nucléaire français.
15 décembre 1948 : Au centre d’études du fort de Châtillon, à Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine), les équipes du CEA font fonctionner la première « pile atomique » à eau lourde construite en Europe. Elle sera arrêtée en 1976.
24 juillet 1952 : Vote du premier plan quinquennal de l’énergie nucléaire à l’Assemblée nationale qui prévoit la construction de deux réacteurs à Marcoule. Ceux-ci entreront en service en 1956, permettant de faire à la fois du nucléaire militaire et civil.
10 août 1961 : Décret déclarant d’utilité publique et urgents les travaux de construction d’un centre de traitement des combustibles usés sur le site de la Hague. Celui-ci sera mis en service en 1966.
1965 : Sur fond intense de colonisation, découverte par la France de la réserve d’uranium la plus importante du monde à Arlit (Niger).
6 mars 1974 : Lancement d’un vaste programme électronucléaire de construction de 13 réacteurs, connu sous le nom de « plan Messmer » – du nom du Premier ministre Pierre Messmer.
31 juillet 1977 : Rassemblement contre le projet Superphénix à Creys-Malville ; un manifestant est tué par une grenade offensive des forces de l’ordre.
28 mars 1979 : Accident dans la centrale nucléaire de Three Mile Island (Pennsylvanie) qui se traduit par la fusion du cœur du réacteur. L’accident est classé au niveau 5 sur 7 sur l’échelle internationale des évènements nucléaires (INES).
13 mars 1980 : Accident nucléaire provoquant la fusion de 20 kilos d’uranium à Saint-Laurent-des-Eaux (Loir-et-Cher), classé niveau 4.
26 avril 1986 : Le réacteur numéro 4 de la centrale soviétique de Tchernobyl (Ukraine) explose au cours d’un test de sûreté, causant la plus grande catastrophe du nucléaire civil et faisant plus de 25.000 morts (estimations officieuses). Pendant dix jours, le combustible nucléaire brûle, rejetant dans l’atmosphère des radioéléments d’une intensité équivalente à plus de 200 bombes d’Hiroshima et contaminant les trois quarts de l’Europe. Il s’agit du premier accident classé niveau 7 sur l’échelle INES.
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Qu’est-ce qui peut bien conduire des scientifiques, des industriels, des militaires et des politiques à poursuivre pendant 40 ans encore les recherches sur le nucléaire après Hiroshima-Nagasaki ? Quelles peuvent en être les raisons objectives ? Comment peut-on avoir l’idée de transformer le feu atomique en nucléaire civil ?
C’est Marguerite Duras qui répétera inlassablement qu’il « ne s’est rien passé à Hiroshima ». Et, a posteriori, au vu du développement de l’industrie nucléaire mondiale durant les Trente Glorieuses, on ne peut que partager son constat.
C’est comme si la puissance dévorante de cet outil de mort était trop grande, trop forte, pour que l’on puisse réaliser. Pour qu’on l’on puisse véritablement encaisser tout ce que cela implique, le comprendre – littéralement, le « prendre avec nous ». Indicible car incommensurable.
Pourtant, en France, c’est depuis plus de 20 ans l’origine de 75% de notre électricité. Autrement dit, chaque fois que nous allumons un interrupteur, nous cautionnons et subissons l’activité atomique – la matière au cœur des réacteurs sert, indistinctement, à enrichir des têtes de missiles et à éclairer nos ampoules.
1984-2022 : de Tchernobyl à la faillite en 40 ans ?
30 décembre 1991 : Adoption de la loi encadrant l’étude de faisabilité du stockage en profondeur des déchets de haute et de moyenne activité que doit entreprendre l’Andra au cours des 15 années suivantes.
1998 : Après de nombreuses luttes populaires partout en France, choix du site de Bure (Meuse) pour l’implantation d’un laboratoire souterrain de stockage des déchets radioactifs dans l’argile, à 500m sous terre, pour cent mille ans.
9 mai 2001 : Quinze ans après Tchernobyl, sans se presser, création de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).
3 septembre 2001 : Fusion de Framatome et de la Cogema. La nouvelle holding nucléaire française, Areva, est détenue à plus de 93% par les institutions publiques.
28 juin 2005 : Au cours d’une réunion à Moscou, le site de Cadarache (Bouches-du-Rhône) est retenu par les partenaires du programme de recherche (Chine, Corée du Sud, Etats-Unis, Japon, Russie et Union européenne) pour la construction du réacteur expérimental de fusion nucléaire ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor). Le coût du projet est évalué à environ 10 milliards d’euros sur 40 ans.
11 avril 2007 : Autorisation du démarrage de la construction du réacteur nucléaire EPR conçu par Areva sur le site de Flamanville (Manche) avec EDF comme maître d’oeuvre, pour un budget estimé à 3,3 milliards d’euros.
11 mars 2011 : A la suite d’un séisme de magnitude 9, le Japon connaît un tsunami d’ampleur historique, qui provoque à Fukushima un accident nucléaire classé au niveau 7 sur l’échelle internationale des accidents nucléaires (INES).
Le 14 avril, l’Allemagne annonce l’arrêt immédiat de 7 centrales.
Le 19, le gouvernement de Silvio Berlusconi décide le dépôt d’un amendement abrogeant le programme nucléaire lancé en 2009.
8 février 2012 : Réunion sous l’autorité du président de la République du Conseil de politique nucléaire qui décide la prolongation de la durée de vie des centrales au-delà de 40 ans ainsi que la poursuite du programme de construction d’EPR, avec un deuxième réacteur à Penly (Seine-Maritime), après celui de Flamanville.
3 décembre 2012 : Annonce par EDF d’un surcoût de 2 milliards d’euros pour la construction du réacteur nucléaire EPR de Flamanville (Manche), soit un montant total de 8,5 milliards d’euros. Le lendemain, annonce par Enel de son retrait du projet de construction du réacteur – à qui EDF va devoir rembourser 613 millions d’euros plus les intérêts.
Avril 2015 : Détection d’anomalies techniques à l’EPR de Flama—nville liées à des malfaçons du carbone fragilisant la cuve du réacteur.
Août 2015 : Projet « Grand carénage » visant à prolonger la durée de vie des centrales existantes de 35 à 60 ans. La Cour des comptes alerte sur le coût élevé de ce projet (100 milliards d’euros).
Septembre 2017 : Malgré les malfaçons (allez donc savoir pourquoi), l’ASN autorise la mise en service et l’utilisation de la cuve du réacteur de l’EPR de Flamanville mais limite l’utilisation du couvercle actuel du réacteur à fin 2024.
Août 2019 : Le démarrage de l’EPR de Flamanville est encore repoussé, cette fois-ci à 2022.
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Malgré Tchernobyl, les mêmes promoteurs français du nucléaire ont poursuivi de plus belle. Malgré les incertitudes et les risques aussi, et malgré les échecs. Malgré Fukushima également.
La situation est aujourd’hui devenue hautement problématique, à l’heure où les trois-quarts de notre électricité proviennent d’un système sous perfusion économique qui s’approche dangereusement de la faillite (du côté d’EDF comme du côté d’Orano ex-Areva).
Les inconnues se multiplient à vitesse grand V alors que les piscines de stockage débordent, et que la technologie des EPR ne tient aucune de ses promesses.
Il est nécessaire de regarder le labyrinthe atomique en face – ses centrales et ses bombes, ses mines et ses déchets – si l’on veut pouvoir penser un monde plus écologique.
Car derrière les énergies fossiles, que l’on dénonce plutôt aisément, se cachent les matières fissiles qui, elles, paraissent tracer leur route dans un silence assourdissant. Comment véritablement penser l’écologie quand chacune de nos ampoules s’abreuve du feu nucléaire ?
Simplement en se répétant inlassablement, avec Marguerite Duras,
qu’il « ne s’est rien passé à Hiroshima » ?
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